TEMPORA

Par ailleurs l’usage du séquenceur et des logiciels de transcription a modifié la pratique même de l’écriture, en redonnant par exemple à l’improvisation au clavier un rôle comparable à celui qu’elle a toujours tenu en Occident, mise à part une courte période du 20ème siècle. Il en résulte un autre sens et un autre contrôle du temps. C’est ce qui explique, techniquement, le choix du titre, et, esthétiquement, l’exploration particulière de la durée qu’illustre cette oeuvre. La version initiale pour trois échantillonneurs, créée par Tristan Murail, Michael Levinas et Fuminori Tanada a malheureusement dû être remplacée par une version fixée, les moyens informatiques étant toujours soumis à la dictature commerciale de l’obsolescence rapide.
Tempora a une durée longue, mais ne peut être considérée comme une « grande forme ». Tandis que, souvent, une oeuvre musicale est l’application temporelle d’un « langage », c’est-à-dire l’organisation sonore de concepts qui auront pour tâche de quadriller l’informe, d’aménager le temps de façon à contrôler son écoulement mortel, c’est ici un pari esthétique plutôt inverse qui a été lancé : affronter l’innommable, retrouver le son non repéré, non paramétré, et déconditionner la perception et la mémoire en allant jusqu’au risque de fascination que comporte l’instant sans les habituels garde-fous des catégories logiques. Par là cette entreprise rejoint tout un héritage qui remonte à Debussy, et que le vingtième siècle a fréquemment fait fructifier.