Notice
Texte de présentation écrit en 1974 pour la présentation de l’œuvre au premier concert de l’Itinéraire :
« Le mouvement de l’Histoire, comme on dit, s’est désormais accéléré à un tel point qu’on ne peut plus repérer en musique ni révolutions ni même successions de modes. Non seulement, depuis que toutes les limites ont été transgressées ( celles de la tonalité, du tempérament, du bruit, de l’oeuvre etc.), l’histoire musicale ne suit plus aucune ligne, mais même le mouvement brownien des tendances, des modes, des traditions, échappe à toute perception. Le tourbillon s’immobilise donc à force de vitesse. L’entreprise « naturaliste » à laquelle se rattache Naluan propose ainsi le déchiffrement du réel sonore comme une tâche libératrice et inépuisable, après le véritable « degré zéro » que marque cette sorte de fin de l’Histoire musicale qui est intervenue entre 1960 et 1970.
Après avoir longtemps imité différents modèles sonores par des méthodes de transposition ou de transcription ( par exemple des textes parlés sous forme de « phonèmes » instrumentaux dans Safous Mélè, 1959, La peau du silence, 1962, Le son d’une voix, 1964 ), j’ai inauguré une démarche à la fois complémentaire et opposée en 1969 avec Rituel d’oubli, en mêlant le modèle lui-même et son imitation instrumentale. Depuis 1971, avec Korwar, Temes Nevinbür et Rambaramb, trois oeuvres pour instruments et une même bande magnétique traitée comme une sorte de Cantus firmus, j’ai poursuivi cette pratique comparable à celle des peuples océaniens auxquels les titres sont empruntés ( on appelle ainsi les crânes humains qui, une fois enduits d’argile et peints, sont à la fois sculptures et objets naturels). Dans Naluan ( mot originaire de Malekula aux Nouvelles-Hébrides ), je réalise de façon analogue un fidèle placage instrumental visant à confondre les catégories conventionnelles du brut et du musical. Les oiseaux, les insectes et les amphibiens que j’ai enregistrés, transcrits, et orchestrés, sont intégrés dans un tout sans subir eux-mêmes d’autre métamorphose que celle opérée par l’enregistrement ; et j’ai fait celui-ci de façon à les situer dans un espace partiellement abstrait, et aussi éloigné de l’impressionnisme traditionnel que du symbolisme de Messiaen. Dans d’autres oeuvres je peux sans doute me contenter d’enregistrements bruts, ce que j’avais appelé en 1960 des phonographies, mais ici la présence des instrumentistes a un double sens : d’abord affirmer l’identité profonde des musiques humaine et animales, car la musique, – c’est-à-dire la rencontre entre une pensée et des sons -, semble répondre finalement à une fonction biologique commune à l’homme et à plusieurs espèces animales ; et d’autre part prolonger avec de nouveaux moyens le geste primitif qui créa l’homme, lorsqu’il détermina sa relation au monde en soulignant le contour du rocher pour y déchiffrer son rêve, et lorsqu’il apposa sa main pour fixer ce rêve.
Instrumentation
1 fl., 1 cl., 1 ou 2 perc., 1 piano, 1v., 1 a., 1 vc., 1 cb., sons fixésCréation
28/02/74 Baden-Baden, Sudwestfunk, (Ensemble XXème siècle, dir. P.Burwik)