Notice
Les sons synthétiques ont été réalisés sur la machine Upic, et parfois retravaillés à l’aide d’un échantillonneur Akaï S3000 et du logiciel GRM Tools. Comme dans plusieurs oeuvres mixtes antérieures (Naluan, Amorgos, Nocturne etc.), les instruments jouent presque toujours à l’unisson avec l’enregistrement, ce qui suppose une transcription minutieuse de celui-ci sur la partition. Le titre se lit de deux manières : comme métaphore textile, faisant allusion aux effets changeants des interférences lumineuses ; et comme référence mythologique aux Moïrai, divinités grecques présidant aux Destinées humaines.
L’oeuvre comprend sept mouvements enchaînés, d’une durée totale d’environ 15 minutes et demie.
Dans cette œuvre, c’est assez souvent l’élaboration des sons enregistrés qui est intervenue en premier, leur transcription sur partition et l’écriture du quatuor venant ensuite. La plupart du temps, les instruments sont à l’unisson avec les haut-parleurs, pour des effets de moires. Cette technique appliquée originellement aux textiles était ainsi définie par le physicien Chevreul : La pratique, en parfait accord avec la théorie, apprend que la moire apparait d’une manière plus avantageuse sur les étoffes monochromes que sur les étoffes glacées, parce qu’en effet, la beauté de la moire résidant dans la variété des dessins changeant avec la position du spectateur, les changements de couleur de l’étoffe glacée viennent, pour ainsi dire, contrarier la simplicité et la pureté des dessins de la moire (Journal des savants 1866, p.648). J’ai pensé obtenir dans le domaine sonore un effet comparable à ces interférences lumineuses en écrivant des musiques « monochromes », où les sons enregistrés ajoutent des effets de timbre, et non des composantes polyphoniques. La première expérience en ce sens, dans Nocturne, m’avait montré que c’était une des possibilités intéressantes des sons de synthèse. J’ai rarement exploré les rapports du visible et de l’audible, pour la plupart métaphoriques, et tout aussi rarement accordé beaucoup d’importance à la spatialisation de ma musique, mais ici j’ai cru devoir préciser le meilleur dispositif propre à laisser percevoir les effets moirés. J’ai rédigé des recommandations techniques, dont l’obsolescence partielle, moins de vingt ans après, ne laisse pas espérer une longévité tranquille pour ce genre d’œuvres :
La partie électro-acoustique est fournie sur une cassette DAT, ce qui permet à un des membres du quatuor, muni d’une télécommande, de faire démarrer à volonté une des sept plages numérotées. Le magnétophone DAT et le dispositif d’amplification et de sonorisation, dans cette hypothèse, sont contrôlés par les interprètes eux-mêmes. Toute copie sur cassette ordinaire est à proscrire, les vitesses de lecture de la plupart des magnétophones à cassette n’étant ni précises ni stables. Si l’on dispose d’un technicien responsable des départs, il conviendra qu’il puisse communiquer aisément avec le quatuor, répéter suffisamment avec lui pour assurer des départs précis, et régler l’intensité de la partie électro-acoustique de façon à obtenir la fusion la plus parfaite avec les instruments . La partie synthétique ne doit ni être un fond sonore ni paraître plus intense que le quatuor.
Une autre solution est l’usage d’une bande analogique 4 pistes, sur laquelle 2 pistes sont utilisées pour la partie électro-acoustique diffusée sur les haut-parleurs, et une pour les clicks métronomiques et les annonces parlées (donnant des repères toutes les dix mesures), diffusée pour les instrumentistes seulement sur un ou plusieurs écouteurs. Cette bande est disponible chez l’éditeur.
Les haut-parleurs doivent être disposés de façon frontale. Il est souhaitable qu’il y en ait au moins 4, pour que chaque instrumentiste perçoive aisément les sons synthétiques sur lesquels il doit se synchroniser. Aucun haut-parleur ne doit se trouver sur les côtés ou à l’arrière de la salle. Lorsque celle-ci est de petite dimension (30 à 100 places), 4 haut-parleurs (2 x 2), alignés derrière le quatuor, peuvent convenir. Dans une salle de plus grande dimension, il sera en général nécessaire de fournir aux interprètes au moins 2 retours (1 pour les violons et 1 pour alto et violoncelle) situés tout près d’eux, en plus des deux groupes de haut-parleurs (2 x 2 ou mieux 2 x 4, en les orientant vers différents points de la salle). Éviter en général de disposer les haut-parleurs sur un plan plus rapproché du public que les instrumentistes, et chercher à donner une image stéréo qui ne soit presque pas plus large que celle du quatuor.
La terminologie de la musique dite savante (?), classique (?), écrite (?), contemporaine (??) fait l’objet d’une insatisfaction chronique. Celle des sons enregistrés, fixés, électroacoustiques, électroniques, numériques, etc. est tout aussi mal adaptée. En relisant un tel texte moins de vingt ans après, on ne peut que s’interroger sur sa pertinence. Les sons prétendus « fixés » sont condamnés à une continuelle migration de support en support. Les cassettes DAT ont souvent rejoint les analogiques dans le silence des greniers. Les bandes magnétiques appartiennent déjà aux archéologues des techniques. Rabelais voulait qu’on bâtisse avec des « pierres vivantes », les hommes. Mais encore pouvait-on continuer à utiliser les édifices faits de pierres mortes. Le monde sans projets et sans archives qui se dessine verra pour la première fois les objets vieillir beaucoup plus vite que leurs créateurs.
Instrumentation
quatuor à cordes et sons fixésCréation
2.12.94 Radio-France, quatuor Arditti
Éditeur
DurandCommanditaire
Commande Ateliers Upic & Fondation Florence GouldDédicataire
quatuor ArdittiTextes
Critiques de Moires