ANDROMÈDE

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ANDROMÈDE(Opus 40)
Décembre 197931'Orchestre, Musique vocale
orchestre Philharmonique et chœurs de Radio-France, dir. Gilbert Amy

Notice

Venant après Danaé et Kassandra, cette troisième figure mythique féminine signale, comme les deux précédentes, une œuvre qui accorde plus de place aux archétypes et à l’intuition qu’à la recherche formelle, bien que celle-ci joue aussi un rôle, en particulier dans les superpositions de tempi. On a dépensé beaucoup d’intelligence démystificatrice depuis des années, et les progrès de la conscience y ont sans doute trouvé leur compte. Mais leurs lumières, ou parfois leur faux jour, n’éclairent pas tout un domaine de l’esprit auquel ressortit la musique. Il ne serait pas moins utile de re-mythifier un monde qui a plus que jamais besoin des grands voyages dans les « espaces du dedans », comme dit Artaud. Enchaînée nue devant la mer, une figure féminine nous y attend depuis toujours, promise aux nébuleuses. La musique ne raconte pas son histoire, elle essaie seulement de conduire chacun vers le lieu d’où elle rayonne et ne cesse de se revivre.

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Commentaire
A l’époque où je composais Andromède et où je rédigeais la notice ci-dessus, je préparais aussi la soutenance d’un Doctorat d’État qui a eu lieu le 11 mars 1980, et dont le contenu a été mis en forme trois ans plus tard dans le livre Musique, mythe, nature ou les dauphins d’Arion. Une « année sabbatique » offerte par le Ministère de la Culture m’avait libéré de mes cours de lettres classiques, me permettant l’entreprise d’une œuvre de grande envergure pour orchestre par 4 et double chœur. J’avais alors soin d’écarter toute interprétation narrative induite par le titre. Aujourd’hui, je dois admettre que, sans être une œuvre à programme, et malgré l’absence de tout texte chanté, Andromède prenait en compte une part de l’imagerie liée au mythe. Autant les années 50 avaient dû laborieusement lutter contre le « romantisme » et la littérature associés à la composition, pour imposer un formalisme (trop) pur et (trop) dur, autant les années 80 voyaient des tendances inverses s’efforcer de briser cette dictature de l’abstraction. Ayant traversé ces deux générations, mes recherches esthétiques, si originales ou aberrantes qu’on les ait qualifiées, n’ont pu manquer de porter quelques traces des mouvements ambiants. Pendant deux décennies je m’étais surtout efforcé de rejeter la conception de la musique comme un langage arbitraire, en allant jusqu’à attaquer le culte de l’écriture comme « paperasserie musicale », et en y réinjectant une forte dose informelle à travers l’exploitation de modèles naturels. A l’époque d’Andromède, j’ai participé au mouvement anti-abstrait, mais en rejetant aussi les conséquences minimalistes ou néo-tonales dans lesquelles la « post-modernité » avait souvent voulu se complaire. « Ni progressisme ni nostalgie » résumait la troisième voie sur laquelle j’essayais d’avancer seul.
Le début de la composition se situe dès la commande, en octobre 1977. En relisant aujourd’hui les notes prises au jour le jour sur une cinquantaine de pages, je vois que jusqu’à la moitié de l’année 1978, le projet initial comportait une partie de bruits de mer enregistrés sur bande, comme une sorte de prolongement d’Amorgos. Même quelques titres notés alors comme possibles se réfèrent au modèle marin, qui est demeuré très actif : Maris canor, titre inventé, ou La fontaine du large, emprunté à la topographie de ma ville natale, mais finalement rejeté comme trop « poétique » . Puis se dessine l’emploi de l’effectif définitif, sans bande, probablement à cause des difficultés déjà rencontrées dans Rambaramb, et qui auraient été encore plus grandes pour un projet d’écriture très divisée et foisonnante. Le chœur, dans un premier temps, aurait peut-être chanté un texte sumérien, idée qui n’a rien à voir avec le mythe grec, et qui n’aboutira que dix ans plus tard, dans Kengir. Ce n’est qu’à la fin de 1978 que le nom d’Andromède s’est imposé.
Avec le recul, j’entends aujourd’hui dans mon œuvre quelques conséquences sonores assez directement induites par la narrativité inhérente au mythe d’Andromède, et abondamment détaillée dans mes notes de l’époque. Tout en distinguant la mythologie comme discours dérivé du mythe, et celui-ci comme pulsion initiale inscrite dans un patrimoine mental universel, je reconnais que le rejet de la dictature du formalisme structurel conduit normalement à reprendre une certaine narrativité comme guide pour donner forme à une composition, comme c’est le cas avec un récit mythologique. D’ailleurs même Webern et d’autres musiciens sériels semblent avoir finalement éprouvé cette nécessité. Le fil conducteur d’un texte dans plusieurs œuvres vocales de cette école leur a servi de remède à la désorientation inhérente à toute combinatoire, souvent condamnée sans cela à de simples effets kaléidoscopiques.
Sans pour autant devenir une œuvre à programme, Andromède est marquée par la structure ternaire de certains épisodes. Dans sa quête pour s’emparer de la tête de Méduse et délivrer Andromède, Persée rencontre plusieurs trios d’auxiliaires ou d’ennemis. Hermès lui remet trois talismans : un casque qui rend invisible, des sandales qui permettent de voler, et une besace magique. Il lui indique la demeure des trois Vieilles, qui n’ont qu’un œil pour trois et qui connaissent le séjour des Gorgones. Grâce à ces auxiliaires, il parvient auprès des trois Gorgones : Méduse, Euryale et Sthénô (Mentale, Océane, Puissante), et parvient à décapiter Méduse dont la tête, entourée de serpents et dont la vue pétrifie, lui servira ensuite d’arme absolue.
La ternarité en question m’a suggéré l’emploi de trois pianos. D’autres motifs récurrents comme l’envol, l’or, la mer, ont dominé certaines séquences. L’entrée du chœur se fait par exemple à travers un frissonnement de vagues orchestrales. Mais quelques détails de la légende ont un écho musical plus précis. Une pluie d’or descend en lents arpèges, et se termine par des exclamations du chœur féminin, qui font écho à la naissance de Persée dans la tour de bronze et au meurtre de la nourrice par ordre d’Acrisios. Le son insolite des quatre flexatones, qui chez certains auditeurs a fait croire à une présence électronique, correspondait dans mon imagination à l’apparition d’Hermès et Athéna . La rencontre avec le mystère dangereux de Méduse correspond à des accents chuchotés et des ponctuations sèches de cymbales. Les pétrifications à l’aide de sa tête coupée vont aussi de pair avec des accents violents et secs. La forme d’ensemble peut se rattacher de façon beaucoup plus libre avec la légende : les cinq parties de l’œuvre qui commencent respectivement au début, vers la 9ème, la 19ème, la 23ème et la 26ème minute, ont été pensées plus ou moins en liaison avec les péripéties de la naissance et l’exil de Persée, la quête de Méduse, la délivrance d’Andromède, le retour à Sériphos, et le retour final à Argos en compagnie de Danaé.
Le plus souvent, cependant, et comme dans Danaé que son titre rattache au même cycle, c’est l’esprit mythique en général plutôt que des épisodes légendaires qui m’ont inspiré. J’ai déjà peur que ces indications n’entraînent des malentendus, tant le besoin mythique est fort encore de nos jours. Mais entre le danger de l’abstraction trop sèche et celui de la narrativité trop extérieure, c’est le second qui a fini par m’apparaître comme le moins redoutable.

Instrumentation

4 fl, 4 hb, 4 cl, 4 bsn, 4 cors, 4 trp, 4 trb, 4 perc, 3 pnos, 2 hp, 2 choeurs (12+60), 14 v1, 12 v2, 10 a, 10 vc, 8 cb.

Création

04/06/80 Paris, Radio-France, studio 104, (Orchestre Philharmonique dir. G.Amy)

Éditeur

Durand

Commanditaire

Radio-France

Dédicataire

Disques

CD Braises Radio-France CD MFA 216034

MFA L’estuaire du temps

Imagerie