TEMBOCTOU

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TEMBOCTOU(Opus 47)
Avril 19822hSpectacles

Notice

Temboctou est né du concours de deux forces, l’une interne et l’autre externe : intérieurement, il était temps pour moi de lever une ancienne inhibition qui proscrivait l’union de la parole et de la musique ; et extérieurement, la suggestion de Pierre Barrat venait me faire partager son intérêt pour le thème du nomadisme et de la sédentarité. La réédition récente du récit de René Caillié a donné corps à nos réflexions et à nos rêveries, et Bernard Chartreux a su s’en inspirer pour écrire un texte qui, sans avoir rien de commun avec un livret d’opéra, est propre à susciter le chant.

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Caillié est une vivante contradiction. Fils de bagnard et premier lauréat de la Société de Géographie, il est parti pour fuir les villageois de Mauzé-sur-le-Mignon, mais aussi pour forcer leur respect. Faux arabe, faux savant, il a été en 1827 le premier découvreur d’une fausse gloire. Tombouctou – qu’il orthographie Temboctou -, capitale déchue au rang de village léthargique. Qu’elle l’engloutisse ou consente à le recracher moribond vers l’Europe, l’Afrique est un «non-lieu», une utopie pour ce petit paysan de l’âge romantique. Le pionnier du Progrès salué par la science ne poursuivait que l’image archaïque de l’Afrique maternelle et dangereuse. «Re-né», comme Chateaubriand, et comme les initiés, il incarne nos deux postulations contradictoires et universellement frustrées : le besoin d’un ailleurs, et la nostalgie du foyer. Celui-ci est identifié par sa sœur Céleste, tandis que l’autre ressemble à des mirages féminins : une reine qui chante en étrusque, ou Lilith qui le vampe …Aujourd’hui où nous voyons de jour en jour le champ du voyage se rétrécir aux dimensions d’un crâne, c’est la musique et le théâtre qui restent les rares lieux ouverts au nomadisme de l’imaginaire. ( … ) Les voix et les instruments nomadisent aussi hors de leurs limites naturelles, grâce à un processeur numérique en temps réel, le DHM Publison, employé ici pour la première fois dans un spectacle : aux mirages du Sahara correspondent des mirages sonores.

Commentaire

Le premier défi que j’affrontais dans ce spectacle était le chant d’un texte en français, ce que Da Capo, comme Danaé et Les mangeurs d’ombre avaient radicalement évité. Le second était de ne pas retomber pour autant dans la plupart des conventions de l’opéra. Le troisième était de conserver à la musique le rôle principal dans le spectacle collectif. Seuls les deux premiers obstacles ont été à peu près surmontés. En revanche je n’ai pas réussi à obtenir l’élagage d’un texte trop verbeux, qui casse le rythme du spectacle et l’enlise dans les sables avec son anti-héros monologuant. En cela, les leçons de l’opéra n’ont pas été mises à profit, car la simplicité et la sobriété des situations dramatiques y ont assuré plus souvent le bon fonctionnement d’un spectacle que des ambitions littéraires trop appuyées, et stoppant l’élan de la musique. Un Busenello, un Da Ponte ont réussi à équilibrer leur livret au niveau de la musique composée par Monteverdi ou Mozart. Mais à côté de ces exceptions, beaucoup de livrets quelconques ou schématiques n’ont pas pour autant entraîné la chute de leurs opéras, et parfois même ont contribué à leur succès. Mais l’accouplement du texte et du chant se fait rarement par consensus. Celui de la mise en scène et de la musique est devenu encore plus risqué, Ligeti l’a éprouvé durement avec Le grand Macabre. Heureusement, j’ai eu avec Pierre Barrat une collaboration aussi aisée et fructueuse qu’elle l’avait été trois ans plus tôt.

La mise en musique du texte a reposé sur un principe simple : le traiter d’abord comme un modèle phonétique, dans la postérité de ce que j’avais tenté depuis Safous Mélè. Mais au lieu d’élaborer des équivalences plus ou moins arbitraires entre modèle et écriture, je suis parti de l’enregistrement du texte par moi-même, prononcé avec les traits rythmiques et intonatifs qui me paraissaient utiles. Cette lecture de comédien amateur, orientée d’emblée vers un projet de transcription, a ensuite fait l’objet d’une analyse minutieuse, pour déterminer syllabe après syllabe la meilleure approximation en hauteurs moyennes stabilisées, transcrire les rythmes « naturels » et les accentuations les plus proches de l’expression du contenu. Restait à adapter ces données aux tessitures des chanteurs, et opérer de nombreuses retouches.

Temboctou évoque plus un oratorio qu’un opéra, l’enjeu du retour après une découverte décevante ne permettant pas une vraie progression dramatique. Mais l’idée d’un ailleurs fantasmé est de celles qui m’émeuvent. Aux mirages sahariens correspondent les mirages sonores.

Pour cela, tandis que l’Ircam mettait au point le système 4X, utilisé par Boulez dans Répons en octobre 1981, la French infernal machine, surnom du DHM Publison, était un échantillonneur assez fruste, mais qui permettait lui aussi quelques manipulations en temps réel. Il pouvait par exemple créer des arpèges automatiques, renvoyer inversées des phrases dites normalement, harmoniser comme un chœur multiple la voix du héros solitaire, ou diffuser sur des échelles non tempérées des sons de shanaï ou de zurna. Toujours dans ce fantasme d’un ailleurs, on entendait chanter en étrusque celle que j’avais surnommée Antinéa, personnage joué par Esther Lamandier qui s’accompagnait sur une harpe médiévale. J’avais manifesté mon attirance d’archéologue pour les voix abolies en faisant chanter des bribes de lycien ou de vénète, des langues dont seules de rares fragments écrits ont survécu. Un immense tambour d’eau, que j’avais fait réaliser par Robert Hébrard sur le modèle agrandi des calebasses flottantes africaines, émettait de grandes résonances plus graves que toute grosse caisse.
Temboctou aura peut-être été ma dernière œuvre théâtrale. La réaction esthétique des années 1980 a restauré les conventions de l’opéra, conduisant beaucoup de compositeurs à espérer toucher par cette voie un plus vaste public. Beaucoup de travail a été, et est encore investi, mais si c’est un calcul, il s’est souvent révélé décevant, bien qu’un petit nombre de ces opéras soient considérés à juste titre comme des réussites. Comme par le passé, les chances qu’ont les créations d’entrer au répertoire demeurent très aléatoires. Les goûts routiniers, le passéisme complaisant, et surtout le coût énorme, maintiennent l’opéra dans un statut figé ou précaire. Cet art de cour est peu compatible avec la dictature croissante des critères économiques, et la Télévision, qui serait un des média les mieux appropriés pour renouveler le spectacle musical, s’en tient à quelques opérettes rebaptisées comédies musicales, ou à des spectacles de variétés dans lesquelles la musique proprement dite joue un rôle finalement secondaire.

Instrumentation

2 S., 2 M-S., 3 Bar., 1 Tén., 1 B., 2 trb., 1 guit., 1 perc., 2 anches médiév., 1 cl., 1 échant., sons fixés, DHM, micros

Création

16/06/82 Colmar, (Atelier lyrique du Rhin)
texte de Bernard Chartreux

Éditeur

Commanditaire

Atelier lyrique du Rhin, France-Culture, Festival d'Avignon

Dédicataire

Disques

Textes

Imagerie

Vidéos